Je n’ai rien contre une vie trépidante, si cela est sain et saint

Sœurs Annie Labrecque et Marie Jeanne | ENTREVUE.

Monastère des Moniales Rédemptoristines | 30 janvier 2024.

La prochaine ‘Journée Mondiale de la Vie Consacrée 2024’ sera mise en relief ici même grâce aux nombreux évènements organisés du 2 au 5 février dans plusieurs diocèses au Québec.

Nous avons pensé aux Moniales Rédemptoristines qui sont situées à quelques minutes de marche de notre église. Peut-être, il y en a parmi vous qui s’interrogent sur la vie de ces personnes vouées à la prière, à de multiples offices, et qui vivent, semble-t-il, en ‘retrait’ de la société.

Sœur Annie Labrecque, prieure, et sœur Marie Jeanne ont accepté de bon cœur de nous raconter leur vie de tous les jours, en coulisses, parfois méconnue des grandes chaînes et des réseaux sociaux. Nous les avons rencontrées à leur monastère sur le chemin de la Côte-Saint-Louis.

(La rencontre s’est passée en deux temps, d’abord avec la prieure et après avec sœur Marie-Jeanne. Pour simplifier la présentation, nous regroupons leurs réponses à chaque question. Merci pour votre compréhension.)

Paroisse STA (André LaRose): Bonjour sœur Annie Labrecque et sœur Marie Jeanne!

Sœur Annie Labrecque, prieure: Merci de vous être déplacé pour cette rencontre.

Vous venez de quel endroit? À quel moment et dans quelles circonstances avez-vous senti une interpellation du Seigneur?

Sr Annie. Je suis née à Limoilou. À trois ans, notre famille a déménagé un peu plus au nord, à Charlesbourg. Donc, toute mon enfance s’est passée à Québec. Au cégep, j’ai fait une technique en cartographie. J’avais 20 ans. Engagée avec d’autres dans la pastorale au cégep, je suis allée vivre un séjour de quelques jours chez les Moniales Dominicaines de Berthierville [qui a fait l’objet d’un film documentaire intitulé Amoureuses, sorti en 2022]. Et là, chez les religieuses, j’ai senti la paix et la joie. Le cégep terminé, j’ai commencé à travailler comme cartographe. Cela faisait trois ans que j’étais sur le marché du travail et je ressentais un besoin de vivre une plus grande intériorité. J’ai fait des recherches sur internet et j’ai découvert le site web — la présentation était, disons, modeste — des Moniales Rédemptoristines à Sainte-Thérèse. Pour moi, le plus important ce n’était pas tant de savoir ce qui allait se passer lors de mon séjour, mais comment m’y rendre… au bon endroit. (Rires.) Je suis restée quatre jours.

Sr M-J. Je viens d’un petit village, Phuoc Thien, situé au bord de la mer, au centre du Vietnam. Ma paroisse natale est tenue par les Rédemptoristes. Je suis la troisième parmi quatre sœurs et un frère. J’ai fait mes quatre années d’études universitaires à Hô Chi Minh-Ville (autrefois Saigon) en tourisme, dans l’administration de la restauration et de l’hôtellerie. À 23 ans, après avoir terminé mes études, je cherchais ensemble avec mes amies un travail et un logement. Après avoir trouvé [un emploi], j’avais l’habitude d’assister à la messe après le travail, toujours avec mon groupe d’amies. À cette époque, je désirais être plus proche du Seigneur, et de fait, je participais aux activités les fins de semaine en paroisse tenue par les Franciscains, soit à la chorale, ou pour apprendre à faire des arrangements floraux. Et peu à peu, à travers de petits signes, comme une Parole ou un chant religieux, il y avait un questionnement en moi: «Est-ce que le Seigneur m’appelle?» Cela devenait de plus en plus fort, mais je ne savais pas encore dans quelle communauté Il m’appelait.

La maison mère des Rédemptoristes étant à Hô Chi Minh-Ville, il m’arrivait souvent d’aller à l’église connexe [érigée sous le nom de] Marie, Notre-Dame du Perpétuel Secours. À l’entrée, à la barrière, très haut dans les airs, il y avait un écriteau avec une Parole du livre du Lévitique: «Soyez saints, car moi, le Seigneur votre Dieu, je suis saint». Après avoir passé là [à maintes reprises pour assister aux célébrations], je me disais: «mais, OÙ m’appelles-tu, Seigneur?»

Bien que je fréquente des lieux tenus par des Rédemptoristes, je ne connais pas de Rédemptoristines. En juillet 2013, j’assiste à la messe d’ordination diaconale et presbytérale des frères rédemptoristes que je connais bien. Je suis toujours émue [lorsque vient le temps de] prononcer leurs vœux. Et après, avec mes amies, j’assiste à la réception qui rassemble [une foule] de personnes. Et là, j’aperçois à distance, parmi les invités, deux religieuses venues d’ailleurs. Elles sont habillées «en civil», mais elles sont reconnaissables. Dès lors, j’ai eu une certitude intérieure que j’entrerais, un jour, chez les Rédemptoristines.

Pourquoi devenir religieuse au sein d’une communauté contemplative et laisser de côté une vie trépidante dans la ville… ou une vie, disons, rattachée à l’enseignement, aux soins des personnes, ou aux divers métiers qui sont accessibles aujourd’hui?

Sr Annie. J’avais un logement, une auto, un copain. Je jouais au hockey deux fois/semaine en hiver et jusqu’à quatre fois/semaine en été. (Rires.) J’envisageais de me marier et avoir une famille. Sans que je sache pourquoi, après mon expérience chez les Moniales Dominicaines à Berthierville, je m’étais confiée à notre animateur de pastorale au cégep: «Si le Seigneur m’appelle, je dis ‘oui’». Enfin, après sept ans sur le marché du travail, je suis entrée ici comme postulante en 2004.

Sr M-J. Je n’ai rien contre une vie trépidante, si cela est sain et saint. Mais, je constate, avec tristesse, que beaucoup de jeunes ayant adopté cette vie ne trouvent pas de sens à leur vie. Avec la personnalité que j’ai, je suis attirée plutôt par une vie simple, dans la paix du cœur, dans le calme, dans le silence intérieur, et une quête de l’Absolu qui est Dieu, le sens de ma vie.

Vous avez choisi une vie de religieuse au sein des Sœurs moniales rédemptoristines — de l’Ordre du Très Saint Rédempteur (OSSR) —, une communauté fondée le 13 mai 1731, le jour de la Pentecôte, par l’Italienne Marie Céleste Crostarosa.

D’ailleurs, votre fondatrice a été béatifiée le 18 juin 2016 par le Pape François en demandant à ce que «la nouvelle bienheureuse, avec son exemple et son intercession, nous aide à conformer toute notre vie à Jésus notre Sauveur».

Pourquoi cette communauté? Qu’est-ce qui vous a attiré?

Sr Annie. C’est le Seigneur qui a choisi ce chemin, c’est Lui qui m’a attirée.

Sr M-J. Ce n’est pas moi qui a choisi, c’est le Seigneur qui m’a choisie. Il m’a appelée et m’a donné la grâce d’y répondre. C’est la spiritualité de notre Ordre qui m’a attirée. Nous avons une devise: «pour une copieuse et abondante rédemption.» Chaque sœur est appelée à être une mémoire vivante du Christ Rédempteur, c’est-à-dire, de laisser le Christ vivre en elle et par elle, c’est ainsi qu’Il peut continuer à réaliser aujourd’hui son œuvre de rédemption. Je trouve que c’est une belle mission.

Aviez-vous à vivre des stages, ici ou ailleurs? De quelle manière cela vous a aidé à laisser mûrir en vous votre appel?

Sr Annie. Dans mon cas, j’ai fait deux fois des séjours de quinze jours à un intervalle de six mois, suivi d’un séjour de deux mois à l’été. Après mon premier stage de quinze jours, je ne voulais plus quitter le cloître, je me sentais bien, dans la vie communautaire et la vie de prière. Les autres stages n’ont fait que confirmer cette aspiration que le Seigneur avait mise dans mon cœur. Mais le Seigneur nous laisse libres de répondre à Son appel.

Sr M-J. Après avoir fréquenté les Sœurs pendant quelques mois, j’ai fait mon stage de trois mois en 2014 dans une petite maison, où habitaient nos Sœurs au Vietnam. Ce qui m’a aidé à discerner ma vocation, c’est d’avoir pu vivre et partager avec elles [les Rédemptoristines] la vie quotidienne et d’être plongée dans la prière, notamment la prière des psaumes.

Où puisez-vous votre inspiration pour vivre votre quotidien loin des préoccupations et les soucis des personnes qui vivent en société?

Sr Annie. Le Seigneur ne nous retire pas du monde, nous ne sommes pas indifférentes à ce qui se passe dans le monde. Nous sommes comme les racines de l’arbre: on ne nous voit pas, mais sans racines, l’arbre ne peut porter du fruit… mais il faut le voir avec un regard de foi. Nous sommes comme des paratonnerres: notre prière, notre offrande supplient pour le monde.

Sr M-J. Nous sommes loin du monde de corps, mais pas d’esprit. Au contraire, ce sont des préoccupations et des soucis de nos frères et sœurs qui alimentent notre vie de prière. Parce que nous les portons dans notre cœur pour les présenter tous au Seigneur, Lui qui aime tous ses enfants et qu’Il s’occupe d’eux. Suite à l’invitation de saint Paul, nous pleurons avec ceux qui pleurent, et nous sommes joyeux avec ceux qui sont dans la joie.

Une journée dans la vie d’une moniale, cela rassemble à quoi?

(À tour de rôle, les sœurs donnent l’horaire d’une journée ‘ordinaire’ en semaine.)

05h15 : Lever

Entre le lever et l’office : Oraison, déjeuner

07h00 : Office du matin. Une heure consacrée aux Laudes (louanges)

08h30 : Célébration eucharistique

09h15 : Actions de grâce (à la chapelle, ou à l’extérieur dans le jardin)

09h30 : Lectio Divina (‘ruminer’ la Parole de Dieu en silence)

10h00 : Temps de travail

11h45 : Office de Sexte (6e heure du jour)

12h00 : Dîner en écoutant soit les nouvelles internationales de Radio Vatican, la catéchèse du mercredi du Pape François, ou une lecture à haute voix de la vie d’un saint, d’une sainte.

12h45 : Repos (petit silence)

13h45 : Lecture spirituelle au choix de la religieuse

14h15 : Oraison personnelle

14h45 : Visite au Saint-Sacrement

15h00 : Office du None (9e heure du jour)

15h15 : Temps de travail

17h00 : Office du soir

17h30 : Oraison personnelle

18h00 : Souper

19h15 : Recréation communautaire

19h45 : Office des complies

20h00 : Temps libre et retrait pour la nuit

Vos parents, vos frères et sœurs vivez comment la relation à distance du monastère?

Sr Annie. Cela a été une adaptation, un deuil pour mes parents. Mon frère a respecté mon choix. Avec le temps, ils m’ont vue heureuse, épanouie… Et cela leur a permis d’être en paix avec mon choix.

Sr M-J. Ma famille est toujours au Vietnam. Nous gardons le contact par courriel pour nous donner des nouvelles. Et on se voit tous les mois par [appels vidéo] Skype. Je suis soutenue par leur affection et leur prière. L’an passé, à l’occasion de ma profession solennelle le 21 octobre 2023, ma mère et une de mes sœurs sont venues passer trois semaines au Québec. Ç’a été un beau temps pour elles et pour moi.

Quelles sont vos activités de détente… en dehors de votre service à la communauté?

Sr Annie. Il y a un panier de basketball. (Rires.) J’aime beaucoup m’occuper des mangeoires d’oiseaux. Il y a au moins une quinzaine d’espèces qui viennent faire leur tour. Et puis, m’occuper des poissons dans le petit plan d’eau [que nous avons aménagé] dans la cour arrière me fait du bien. C’est une occasion pour moi de m’émerveiller de toute cette création que Dieu nous confie.

Sr M-J. Lors des détentes communautaires, nous regardons des films sur la vie des saints. Comme détente personnelle, j’aime beaucoup lire, assise dans une balançoire durant l’été, les œuvres spirituelles, en particulier celles des Pères de l’Église. J’aime, aussi, apprendre de nouvelles langues, le français que je ne maîtrise pas tout à fait, et l’anglais… et puis peut-être, un jour, l’italien, car cela serait sans doute une bonne chose de connaître les textes de notre fondatrice à partir de ses écrits en italien.

Votre souhait pour les personnes qui n’ont plus raison d’espérer?

Sr Annie. Dans notre monde actuel qui est bousculé, dans notre Église qui est ébranlée, on aurait toutes les raisons de tomber dans un désespoir. Je pense, comme chrétien, comme religieuse, qu’on doit s’accrocher à Jésus. C’est Lui notre ancre, pour tenir bon. C’est Toi, Seigneur, mon espérance.

Cela me fait penser au message adressé par Benoit XVI lors des JMJ à Cologne en 2005: «Chers jeunes, le bonheur que vous cherchez a un nom, un visage: celui de Jésus de Nazareth, caché dans l’Eucharistie. (…) Soyez-en vraiment convaincus: le Christ n’enlève RIEN de ce qu’il y a de beau et de grand en vous, mais Il mène tout à sa perfection.»

Sr M-J. Qu’ils puissent rencontrer et faire l’expérience de Dieu qui est tout Amour, qui n’est qu’Amour et Miséricorde.

Merci, mes sœurs, pour le temps que vous nous avez accordé pour cet entretien.

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