Père Tony Solano | ENTREVUE

Le Père Tony est à Sainte-Thérèse D’Avila depuis le 1er août 2020. Il est arrivé, tout comme l’abbé Jean-Marie Proulx, entre la première et la deuxième vague de la pandémie alors que tout était mis en œuvre pour nous permettre de nous rassembler ensemble à notre église. Après bientôt 30 mois, nous avons cru opportun de lui donner la parole dans le cadre d’un entretien. Nous l’avons rencontré à son bureau.
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Infolettre STA : Bonjour Père Tony.
Père Tony Solano : Bonjour André.
Vous êtes originaire de Lima, ville côtière de plus de 10 millions d’habitants et la capitale du Pérou en Amérique du Sud. Vous parlez l’espagnol. À quel moment et dans quelles circonstances avez-vous senti une interpellation du Seigneur?
J’avais 21 ans — c’était en 1997 — et j’étais engagé à ma paroisse comme catéchète. En décembre, j’accompagnais les prêtres de la communauté des Missionnaires des Saints-Apôtres (voir la description plus loin dans l’entrevue) pour la mission à Noël, c’est-à-dire, pour leur permettre de célébrer la messe dans les villages dans les campagnes en montagne, situés à environ deux heures de route de Lima. Dans la vallée de Santa Eulalia. Pour vous rendre, vous devez aller en Jeep [en empruntant] une route en zigzag. Nous étions deux laïcs, le conducteur et moi-même pour accompagner trois prêtres, le père Abad, le père Victor et le Père Guillermo, aujourd’hui décédé. Les prêtres devaient célébrer la messe de Noël dans chacun des 42 villages situés à dix, parfois, à quinze kilomètres de distance l’un de l’autre en conduisant sur des routes dangereuses proches des falaises. Le plus compliqué, c’est le froid, avec une température autour de zéro degré, et la présence continuelle de brouillard ou de nuages, car, n’oubliez pas, nous sommes entre 3000 et 4000 mètres d’altitude. Les célébrations avaient lieu dès 10h le matin dans un village et se poursuivaient [à tour de rôle] dans un autre village selon la disponibilité des prêtres toutes les heures jusqu’à 17h. Cette expérience m’a interpellée sur le besoin de prêtres pour célébrer [les sacrements] et pour accompagner les gens de la campagne à ces moments de rencontre.
À quelle fréquence les prêtres se rendent-ils dans les villages?
Parce que les villages sont situés très loin en montagne, les prêtres rendent visite [aussi] une fois par année pour célébrer les messes lors des fêtes patronales. Et chaque village a sa fête patronale!
Pourquoi devenir prêtre et laisser de côté une vie trépidante dans la ville… ou une vie, disons, rattachée à la terre, dans les hauts plateaux du Pérou?
C’est pour être au service, pour servir ces gens-là dans les villages, pour la mission. Vous savez, ils sont environ 500 à 1000 habitants dans les villages. Ils se déplacent à pied avec leurs biens chargés à dos d’âne, ou par autobus, mais les autobus ne passent qu’une fois par jour dans les villages. Pour les achats dans les commerces ou pour recevoir des soins parce qu’ils sont malades, les personnes se rendent à Lima. Les jeunes se rendent aussi dans la capitale pour poursuivre leur formation. Mais, au fond, les personnes en campagne restent dans leurs villages.
Vous avez choisi une vie de religieux au sein des Missionnaires des Saints-Apôtres (MSA), une communauté fondée par le Père Eusèbe-Henri Ménard, originaire de East Broughton, dans la Beauce. Pourquoi? Qu’est-ce qui vous a attiré?
D’abord, le Père Ménard a fondé quatre «maisons» à Lima, tout près du quartier où j’habite. C’est dans le village de Chosica, à la limite de la ville de Lima, à environ 30 kilomètres de la mer et à 800 mètres d’altitude. Deux maisons de retraite, le Colegio Winnetka (une école secondaire) et le Hogar San Pedro (Foyer Saint-Pierre) pour les personnes malades et abandonnées, qu’ils soient de jeunes enfants ou de personnes âgées.
J’avais commencé à [fréquenter] l’église à 16 ans et j’étais en secondaire 5. Et puis, si tu fréquentais l’église, il n’était pas possible de ne pas rencontrer un prêtre de la communauté des Missionnaires des Saints-Apôtres. C’est simple comme ça. Voilà.
Vous avez étudié au séminaire au Pérou et en Colombie afin de parfaire votre formation. Est-ce un parcours habituel pour un religieux? Y a-t-il des différences dans la manière d’enseigner?
C’est particulier. D’abord, je considère que chaque pays est un autre monde. Chez nous, au Pérou, la formation étant traditionnelle, tous les enseignements devaient être appris par mémoire, avec la tête. Ce n’était certainement pas facile pour certaines matières. Par exemple, c’était difficile de mémoriser des concepts philosophiques au séminaire au Pérou.
Par contre, à mes 28 ans en 2004, lorsque j’arrive en Colombie, je découvre que la méthode d’enseignement au séminaire est différente: elle favorise la participation et la recherche personnelle. Tu peux développer une méthode de pensée adaptée à ton rythme. Les professeurs t’invitent à développer ta créativité et ton esprit d’exploration dans le but d’éveiller ton goût pour l’étude. À la différence de Pérou, les professeurs stimulent et réveillent tes habilités et tes capacités [en vue de] faire quelque chose.
Aviez-vous à vivre des stages, des expériences de vie sur le terrain, en complément à votre formation? De quelle manière cela vous a aidé à laisser mûrir en vous votre appel?
L’avantage d’appartenir à la communauté des Missionnaires des Saints-Apôtres m’a aidé à vivre différentes expériences en milieu scolaire, à différentes paroisses et surtout à Hogar San Pedro. Là, à cet endroit, il y a environ cinquante bénéficiaires, une trentaine d’employés et une dizaine de bénévoles qui nous proviennent de l’étranger. Du Canada, de l’Allemagne ou des Pays-Bas. Ils viennent faire un stage d’un mois, de deux mois, parfois de dix mois.
C’est là, à Hogar San Pedro, que j’ai vécu l’expérience la plus touchante, parce que tu côtoies l’amour, la maladie, la souffrance et la misère de l’humanité. Là, à cet endroit, ils m’ont aidé à grandir comme un être humain. Ils m’ont donné de grandes leçons de vie. Oui.
Comment voyez-vous le sacerdoce ministériel? Vous savez comme moi que «ministre» a plusieurs sens. Dans le sens commun, on pense toute de suite au gouvernement. Alors, qu’est-ce qu’un ministre dans l’Église?
Pour moi, c’est le service, c’est d’être au service, c’est d’être disponible, non pas seulement pour les besoins spirituels, mais également pour les besoins humains. La devise des Missionnaires des Saints-Apôtres le dit si bien pour moi: Humaniser et évangéliser.
Qu’est-ce que nous a apporté le Concile Vatican II qui a mis une insistance particulière sur la redécouverte de ce qui signifie dans la vie de chacun et dans celle de l’Église le sacerdoce commun, celui de tous les baptisés?
Le Concile Vatican II récupère et souligne une réalité essentielle du laïc: c’est le fait d’avoir la vocation d’être chrétien. Le sacerdoce commun est une réalité très ancienne: c’est d’être missionnaire, non pas passive, mais active.
Comment voyez-vous votre vocation de prêtre dans la vie de tous les jours face à des sociétés qui veulent s’affranchir de la foi, de la transcendance, notamment en Occident?
Pas seulement comme prêtre. Avant d’être prêtre, je suis chrétien et ma vocation c’est de témoigner de ma foi par des actes que je fais chaque jour. Ça veut dire que j’essaye de pratiquer la charité, la miséricorde et être solidaire avec mes frères et mes sœurs du monde.
Y a-t-il lieu de reformuler ou de revoir jusqu’à dans la formation des futurs prêtres? Afin qu’ils se comprennent dans leur l’appel par rapport à la communauté à laquelle ils sont envoyés.
Parfois, on comprend que le centre de formation pour les prêtres, disons le séminaire, peut être perçu comme une bulle. Mais, pour moi, c’est différent. Parce que la personne est un être humain et il vit dans sa réalité qui est en contact avec les problèmes du monde, et même au sein de sa propre famille.
On a vu avec les scandales d’abus ces dernières décennies qu’une vision cléricale (ou d’autoréférencement dont le pape François fait souvent allusion) et une sorte de protection naturelle de l’entre-soi pouvaient permettre des abus et contribuer à les cacher. Comment faites-vous pour naviguer dans ces eaux troubles?
Au début, il faut admettre que les abus sont un problème non seulement dans l’Église, mais aussi dans la société. Les abus sont une injustice humaine et on ne peut les accepter. Notre foi nous demande de vivre dans le respect des autres; surtout les personnes [rattachées à] l’Église [ayant] reçu l’appel de Dieu pour aimer et respecter l’être humain.
Où puisez-vous votre inspiration pour vos homélies?
De la vie humaine… et c’est à travers l’évangile que Dieu donne une réponse ou parfois une Parole d’encouragement pour faire face aux difficultés et aux problèmes actuels que vit la société.
À quoi rassemble une journée dans la vie du Père Tony, ici, à la paroisse?
Je me lève tôt, à 6h, ou à 6h30, pour mon oraison. J’écoute la messe en français vers 8h30 à partir de différents sites sur YouTube pour me familiariser avec la liturgie du jour, avec les lectures bibliques, et avec les saints du jour. Parfois, j’assiste aux Laudes (la louange) des moniales sur YouTube pour mon oraison. Je déjeune à 9h. Ensuite, au bureau pour des rencontres et pour préparer les différentes célébrations [que je préside] dans les CHSLD, dans les RPA et aussi pour les funérailles. Je prends mon souper parfois à 19h. Le soir, je lis la réflexion du jour pour le lendemain.
Vos parents, vos frères et sœurs au Pérou vivent de quelle manière la relation familiale à 6500 km de distance de Montréal?
Ils ne sont pas inquiets pour moi, car ils ont leurs propres soucis. Mon père a établi un commerce familial, il y a cinquante ans, dans le mobilier d’aménagement pour foyer. Toute ma famille est engagée dans cette activité.
Quelles sont vos activités de détente… en dehors de votre ministère?
Partir à la nature pour faire des randonnées dans les différents parcs de la province. En hiver, je pars pour quelques heures. Par contre, en été, je peux partir pour la journée. J’y vais seul ou avec des amis. Le parc du Mont-Tremblant. Le parc du Domaine Vert. Le parc à Oka. Le parc Jacques Cartier et même jusqu’en Gaspésie (rires). Sans livre, juste pour être dans la nature.
Votre souhait pour la communauté à Sainte-Thérèse d’Avila?
D’abord, remercier chaque paroissien et chaque paroissienne pour leur accueil, pour leur patience, pour leur amitié et pour leur grande générosité envers le prochain. J’admire beaucoup la foi de chacun, sa persévérance et l’amour à [envers] Dieu; et, pour moi, c’est un signe de la présence de Dieu parmi nous. Je souhaite que Jésus arrive chez vous, non pas seulement à Noël, mais à chaque jour de votre vie. Et merci pour votre témoignage de foi.
Merci, Père Tony, pour le temps que vous nous avez accordé pour cet entretien. Que vous puissiez vivre ce Noël différent des autres, avec une ferveur renouvelée!
